Compte-rendu de la rencontre avec la Commission des psychologues

Suite à la lettre que COPEL-COBES a adressée à la Commission des psychologues le 20 janvier 2017, nous avons été invités avenue des Arts pour faire part de nos critiques.

Gil Caroz, responsable du COPEL-COBES, Nathalie Laceur, présidente du KLIpsy et Dominique Holvoet, président de l’APPELpsy se sont rendus au siège de la Commission à  Bruxelles ce vendredi 24 février à 11 h.

Nous avons été reçus par la présidente de la Compsy, Catherine HENRY, le directeur, Edward Van Rossen et la responsable de la communication, Evelyne Vereecke.

Disons, de façon générale, que la logique de la porte d’à côté a été de mise lors de cette rencontre. « Que voulez-vous ? C’est la loi, ce sont les politiques, ce n’est pas nous. Nous n’avons qu’une mission, celle de défendre le titre du psychologue et assurer le respect du code de déontologie, afin de promouvoir un traitement de qualité au client/patient via le conseil disciplinaire ».

Contextualisons rapidement l’objet de cette rencontre. La Commission des psychologues est un organisme public fédéral indépendant. Sa compétence initiale portait sur le contrôle des abus de port du titre (loi du 8/11/93 parue au Moniteur le 31/05/94 protégeant le port du titre de psychologue). La Commission avait « pour tâche d’établir la liste des professionnels pouvant porter le titre et d’assister les ministres compétents par voie d’avis »[1].

Progressivement ladite « Commission des psychologues » s’est transformée en un organe de contrôle des psychologues qui de ce fait redéfinit la psychologie dans une pensée unique. Il nous a été rappelé que « sa raison d’être principale était la protection du public, tandis que la fonction de défense des intérêts des psychologues est assumée par les associations professionnelles ». Logiquement la Commission a donc travaillé à partir de 2011 à établir un lien juridique entre le titre et les pratiques déontologiques.[2] Mais la commission ne s’est pas limitée à cela. Cette même année elle annonçait vouloir travailler à l’obligation d’une formation professionnelle continue, contrôlée régulièrement. Sur ce point elle n’a pas été suivie par le Ministère. Mais déjà elle annonçait son souhait de protéger également le titre de psychothérapeute – depuis lors la loi a été votée donnant aux psychologues une exclusivité d’exercice avec les médecins. Quant à l’obligation de formation continue, un courrier de 2014 annonce une collaboration avec les deux fédérations reconnues et les universités pour les mettre en place – sans égard soulignons-nous envers la diversité du champ psy.

Nous avons fait valoir cette diversité à nos interlocuteurs en insistant sur l’impossible simplification de l’humain en ce domaine. L’homme simplifié, c’est le soldat, leur avons-nous dit, ce que ne peuvent être un psychologue et encore moins son patient. Nous ne voulons pas d’une armée de psychologues chargée d’augmenter la productivité du citoyen mais d’un collectif qui prend en compte la diversité des pratiques de la parole pour le traitement de la souffrance psychique. Simplification, uniformisation, mise en ordre, contrôle, nous ne sommes pas loin des dites bonnes pratiques qui ont surtout pour objet de rejeter tout ce qui ne convient pas à une certaine idéologie de l’évaluation qui profite à un management social qui étouffe le citoyen sous prétexte de le protéger.

Concernant le contrôle du titre, la Commission nous a confirmé que le Parquet ne veut pas poursuivre, considérant la trop faible importance du litige, au grand regret de la Commission. Heureusement que la police nous protège des limiers de la psychologie ! Cette chasse, qui agite le spectre du charlatanisme, veut réduire la pratique des psychologues à une simplification que nous estimons abusive. L’étau va encore se resserrer : aujourd’hui le porteur d’un diplôme en psychologie n’a pas l’obligation de s’inscrire à la Compsy, s’il ne fait pas usage du titre et se présente simplement comme « diplômé en psychologie ». C’est le titre de psychologue qui est protégé. La Compsy cherche à obtenir une obligation absolue des porteurs de diplôme en psychologie de s’inscrire à la Commission des psychologues. Ainsi à l’avenir, ce ne sera plus uniquement le titre qui sera protégé, mais aussi la pratique. Tous sans exception seront sous l’œil de la Compsy qui par ailleurs évoluera prochainement vers un Ordre des psychologues.

Dans ce fil de mise en garde de la Compsy contre une dérive autoritaire, nous avons critiqué l’incitation à la délation dans la présentation de la page d’accueil du site de la Commission. En effet, la mise en avant du bouton « plaintes » induit à la méfiance à l’égard du psychologue. Les représentants ont soutenu que, bien au contraire, le but est de défendre les psychologues. Dans un premier temps on invite le client à régler sa plainte à l’amiable, par la parole et la négociation. C’est uniquement si les choses vont plus loin qu’une procédure disciplinaire est enclenchée. Toujours la même manœuvre : vous posez une question, on vous répond à côté. Vous dites qu’il y a un pousse à la délation, on vous répond que la procédure disciplinaire est « soft ».  Nous n’avons pas dit que la procédure est dure ou injuste, nous avons dit qu’il y a un pousse à la plainte. En fait, la Commission crée un problème en invitant les patients à porter plainte, ensuite, quand plainte il y a, elle la résout de façon élégante en défendant le psychologue attaqué. Merci !

Par ailleurs, ce sont les associations de patients qui ont souhaité la mise en évidence de la possibilité de porter plainte contre le psychologue. La Commission des psychologues n’a pas pour mission de défendre les intérêts des psychologues, mais ceux des patients (ah, ils venaient de nous dire le contraire). Comprenez bien : vous payez votre cotisation à la Commission des psychologues afin que celle-ci encourage les patients à porter plainte contre vous. Ainsi le label de qualité du psychologue est assuré ! Encore merci… On nous a finalement assuré que ce bouton serait retiré.

Par ailleurs il nous a été communiqué que la Compsy, toujours pour nous protéger, a interpellé 500 personnes qui font usage du titre de psychologue sans être inscrites à la Commission – la majorité de ceux-là sont des diplômés en psychologie qui refusent de s’inscrire. Là aussi, nos hôtes ont souligné la douceur de la démarche. On ne poursuit pas ces personnes en justice, on leur écrit des lettres. C’est tout. Serait-ce aussi doux si le parquet donnait suite à une dénonciation de ces personnes ?

Mais nos hôtes ne sont pas sans argument sur ce point. « Vous vous rendez compte ? nous ont-ils dit, ces gens utilisent le titre de psychologue, faisant croire qu’ils sont dans l’obligation de respect du code de déontologie, alors qu’ils ne le sont pas. Pouvez-vous faire confiance à de telles personnes qui ne souscrivent pas au code de déontologie ? » Non seulement nous faisons confiance a priori à ces gens, avons-nous dit, mais nous respectons totalement leur choix éthique de ne pas s’affilier à une Commission dont ils désapprouvent le fonctionnement, voire les objectifs. Là où le bouton « votre psy est-il agréé ? » sur la page d’accueil du site de la Commission lie indûment la qualité des praticiens avec l’agrément administratif, nous préférerions laisser a posteriori chacun faire ses preuves car rien n’indique que ces précautions labellisantes offrent une meilleure garantie.

Mais parlons donc du code de déontologie, particulièrement son article 12 qui est contraire au droit belge du fait de substituer la contrainte de parler à l’obligation de se taire. Un détail, une maladresse ? Nous n’en croyons pas un mot. Voici, pour rappel, ce que dit l’art.12 : « Le psychologue est libéré de son devoir de discrétion et ne peut l’invoquer dans tous les cas et situations où une législation le contraint à révéler des informations comme par exemple les cas d’obligation de dénonciation prévus aux articles 422 bis et 458 bis du code pénal ou la situation visée à l’article 458 du code pénal dans laquelle le psychologue est appelé́ à rendre témoignage en justice ou devant une Commission d’enquête parlementaire ».

En fait c’est l’inverse : la loi (art. 422bis et 458bis), concernant le secret professionnel, oblige sous peine de sanctions, de se taire.  C’est dans le cas d’une nécessité impérieuse de porter assistance à une personne en danger que la loi pénale oblige à porter secours. Mais la loi ne contraint pas le psychologue à parler. C’est par exception que le psychologue est « autorisé à divulguer », sans être poursuivi, des éléments précis protégés par le secret. Or l’article 12 renverse la charge de la dénonciation en indiquant que « le psychologue est libéré de son devoir de discrétion [en fait son devoir n’est pas de discrétion mais de se taire] et ne peut l’invoquer dans tous les cas et situations où une législation le contraint [en fait la législation le contraint à se taire et l’autorise dans des cas très précis à parler de façon ciblée] à révéler des informations comme par exemple les cas d’obligation de dénonciations prévus. » Cette indication est erronée ! Vous ne trouverez pas dans les art. 422bis et 458bis du code pénal une obligation à révéler des informations tel qu’il est prétendu dans l’art.12 du code de déontologie promu par le Compsy.

La Commission reconnaît une erreur de formulation mais ici encore l’impute à l’autre : au Conseil d’État ou au Ministère des Classes moyennes. Elle se présente comme n’étant qu’une docile exécutante des ordres des ministres et de la loi, comme si les propositions et avis qu’elle a donnés au fil des ans provenaient d’une pensée sans sujet – c’est troublant. Nous avons d’ailleurs demandé à nos hôtes si nous pourrions consulter les avis qui ont été donnés par la Compsy au stade de l’élaboration du Code de déontologie. Nous avons dû y revenir à trois reprises pour finalement obtenir une réponse négative. Cette opacité ne nous paraît pas de bon aloi.

Concernant la mainmise de la FBP sur la Commission des psychologues, il nous a été indiqué que les reproches faits à la FBP de tenir le manche de la Commission ne sont pas justifiés puisque cette association est majoritaire. Notons qu’en 2001, alors que l’adresse de la FBP et de la Commission des psychologues était identique (rue du marché aux herbes) tous les inscrits à la Compsy ont reçu une lettre… de la FBP pour s’affilier à la Fédération. Confusion des genres étrange. La Fédération était-elle autorisée à utiliser les fichiers de la Compsy ?

Alors oui, aujourd’hui, la FBP est la plus grande parmi les associations de psychologues existantes. Nous n’avons pas manqué de faire remarquer qu’il s’agissait d’une majorité relative et non absolue. A savoir que certes, c’est la plus grande association, mais trois sur onze mille psychologues inscrits à la Commission, cela n’assure pas une représentation de tous les psychologues. Il faudra songer à une autre logique moins simpliste pour définir la représentation. Qu’à cela ne tienne, disent les représentants de la Compsy, l’avenir sera meilleur. La Commission des psychologues deviendra un Ordre. Ce passage mettra fin à la mainmise de la FBP sur la Commission des psychologues, puisque la représentation à l’Ordre des psychologues sera déterminée sans la médiation des associations professionnelles. L’élection directe des membres du Conseil de la Compsy pourrait déjà l’an prochain être opérationnelle, si le ministre approuve la proposition. Ce ne serait donc plus les Associations Professionnelles « reconnues » qui siègeraient mais des élus directs parmi les 11000 psychologues. Mais méfions-nous des promesses.

La Compsy est actuellement sous l’égide du Ministère des Classes moyennes. Dans le moment actuel qui est un moment de transition après le vote de la loi santé mentale, on ne sait pas encore quelle sera la répartition des responsabilités entre le Ministère de la Santé et celui des Classes moyennes. Mais on peut imaginer que les enjeux sont de taille. La tendance au scientisme sera d’autant plus grande que le Ministère de la santé aura une incidence sur la Compsy. C’est la conséquence de l’entrée des psychologues et des « psychologues exerçant la psychothérapie » (nouvelle dénomination du psychothérapeute sur le site de Madame De Block) dans les professions de santé (LEPSS). Tous ces professionnels seront soumis à un même code de déontologie. Il n’est pas sûr que ce code soit plus adéquat pour les psys si le Ministère de la santé reste sourd à la diversité du champ psycho-médico-social au profit de la seule evidence based practice.

[1] La Voix de l’Union, n°23, 11.06.94

[2] Lettre de la Commission des Psychologues « réalisations en 2011 et projets pour 2012 ».