Lettre adressée aux parlementaires et responsables politiques

Objet : Loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé (date d’entrée en vigueur : le 1er juillet 2022)

 

Ramillies, le 04 décembre 2021

 

Madame, Monsieur,

 

Vous êtes membres du parlement, représentants du peuple belge dans ce haut lieu de débat démocratique, et nous souhaitons aujourd’hui vous alerter sur des avancées législatives au niveau du traitement des « données santé » qui nous inquiètent beaucoup quant au secret professionnel.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’un avant-projet de loi, se basant sur une « loi qualité » dont les arrêtés d’exécution n’ont pas encore été publiés, prévoit une numérisation totale des dossiers médicaux, en ce y compris les données concernant les consultations psychologiques. La numérisation obligatoire de certaines données liées aux confidences faites dans le cadre de la consultation des psychologues via le dossier médical numérisé (DPI) représente une atteinte à l’intégrité psychique des personnes, exigée dans le code pénal (art 358bis) ainsi qu’à la démocratie elle-même.

L’Autorité de protection des données a remis un avis très critique concernant notamment le consentement du patient sur cet avant-projet (Avis n° 122/2021 du 8 juillet 2021), le Conseil supérieur des indépendants (Commission 13), l’ordre des médecins (2019) et la Commission des psychologues également, ce qui ne semble avoir aucun effet. D’autres associations de psychologues (UPPsy-BUPsy et APPpsy) comme la nôtre s’alertent aussi. Un manque de prévoyance et une absence de perspective à long terme dans ce domaine crucial pourrait avoir de graves conséquences.

La numérisation des données psychologiques n’est pas nécessaire, elle est dangereuse.

Il nous semble que le législateur fait preuve de beaucoup de légèreté à l’égard de la protection des informations qui peuvent être confiées à un psychologue. Nous savons que rien ne garantit totalement la sécurité de ces données, particulièrement sensibles. Elles doivent dès lors, pour éviter toute dérive, échapper à la numérisation. Nous notons également que cette loi ne prévoit aucun droit à l’oubli.

Nous sommes persuadés que cela n’entravera en rien la qualité du travail effectué par les psychologues, au contraire. La nécessité du partage des informations qui sert souvent d’argument pour accélérer la numérisation, peut tout à fait se faire par d’autres moyens que la voie électronique. De plus, les informations concernant l’intimité psychique des personnes ne sont pas forcément médicales et ne doivent pas être traitées systématiquement comme telles, encore moins se retrouver dans une banque de données dont nous n’avons aucune idée de l’usage qui pourrait en être fait à l’avenir. Les informations obligatoires demandées pour le dossier numérisé comme les raisons de la consultation ou le diagnostic peuvent, dans le domaine de la psychologie, être très contextuelles, avec un aspect dynamique et n’être valables qu’à un moment de la vie du patient. Les fixer sans droit à l’oubli est préjudiciable. Pensons particulièrement aux enfants et aux adolescents dans ce cas. De plus, ces données, ainsi que le diagnostic, dépendent également de la subjectivité du praticien. Nous soutenons donc une différenciation stricte des données de santé mentale, le bénéfice apporté par la numérisation n’étant pas proportionné par rapport aux risques encourus.

Porter atteinte à la confiance, c’est porter atteinte à la qualité du soin.

La qualité et l’accès aux soins dépendent de la confiance que le patient aura dans la possibilité pour le praticien de respecter son devoir de confidentialité. Il ne faudrait pas qu’une numérisation excessive, obtenue sans débat démocratique et éthique, ait un impact sur la confiance de la population dans la possibilité de confier ses souffrances à un praticien en toute confidentialité et mette à mal le principe majeur du secret professionnel que rappelle la cour constitutionnelle : « L’obligation de secret, imposée au dépositaire par le législateur, vise, à titre principal, à protéger le droit fondamental à la vie privée de la personne qui se confie, parfois dans ce qu’elle a de plus intime. Par ailleurs, le respect du secret professionnel est la condition sine qua non pour que s’instaure un lien de confiance entre le détenteur du secret et la personne qui se confie. Seul ce lien de confiance permet au détenteur du secret professionnel d’apporter utilement une aide à la personne qui se confie à lui. [1] »

En l’état actuel des choses, un débat démocratique sur la question éthique de la confidentialité des données de santé mentale et sur la gestion des données numériques en Belgique (affaire Frank Robben, celle de la Clé Helena…) est absolument nécessaire. Il est dangereux d’avancer plus avant dans une utilisation aussi large du dossier médical numérisé. L’efficacité supposée ne peut supplanter la sécurité et l’intégrité des belges.

Je vous remercie de votre attention et suis prête à vous rencontrer au nom des membres d’Appelpsy pour discuter plus avant des problèmes que pose cet avant-projet de loi.

Dans l’attente d’une réponse de votre part, veuillez recevoir, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués,

 

Pour APPELpsy,

Hélène Coppens, présidente.

 

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[1] C. const., 14 mars 2019, n° 44/2019, et 1er avril 2021, n° 52/2021.